La ville de Bytown doit son existence, d’abord et avant tout, à l’industrie forestière, dont elle devient l’un des principaux centres au pays au début du XIXe siècle. Si sa population est surtout composée à l’origine de travailleurs forestiers et de petits commerçants, elle se diversifie rapidement à partir du moment où la reine Victoria fait d’Ottawa la capitale du Canada-Uni en 1857, puis du Dominion du Canada, dix ans plus tard. Le nouveau statut d’Ottawa a pour conséquence d’attirer dans cette ville des politiciens, des fonctionnaires, des traducteurs et des journalistes, ce qui contribue à transformer profondément sa composition sociale. C’est ainsi qu’émerge une élite laïque qui jouera, au fil des décennies, un rôle primordial dans l’établissement de nouvelles structures sociales et politiques permettant aux francophones d’Ottawa d’occuper l’espace public.
En 1858, on fonde à Ottawa Le Progrès, le premier journal de langue française de ce qui deviendra bientôt l’Ontario. Au cours du demi-siècle qui suivra, 29 des 46 journaux de langue française fondés en Ontario voient le jour dans la capitale. Certains ne dureront que le temps d’une élection ! Mais qu’ils soient conservateurs ou libéraux, satiriques ou culturels, ces journaux s’avèreront particulièrement efficaces pour cimenter la communauté.
C’est aussi à partir du milieu du XIXe siècle que les fondements du réseau associatif de langue française d’Ottawa sont posés. Le prétexte à la fondation de la première association francophone est donné lorsque le Mechanic’s Institute de Bytown décide, en 1847, d’exclure le français de ses activités. Indigné, Joseph-Balsora Turgeon, premier maire francophone de Bytown (1853-1854), met sur pied, cinq ans plus tard, l’Institut canadien-français (ICF). La mission de l’ICF est surtout sociale et littéraire. Il sera un haut lieu du théâtre en français dans la capitale. L’organisme, exclusivement masculin, s’intéresse aussi aux grandes questions politiques qui agitent le pays pendant les premières années du régime confédéral : la place du français et du catholicisme dans les écoles des minorités francophones, les relations du Canada avec la Grande-Bretagne, etc. L’ICF a toujours pignon sur rue à Ottawa aujourd’hui. Devenu avant tout un club social, il se veut encore « au service de la langue et de la culture françaises ». Mais il reviendra à d’autres organismes, telles la Société Saint-Jean-Baptiste, fondée l’année suivante, ou encore l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario, créée en 1910, d’emprunter plus résolument la voie politique.
De multiples autres associations verront le jour à Ottawa. Elles contribueront aussi au renforcement du lien social : l’Union des cultivateurs franco-ontariens (1929), la Fédération des caisses populaires de l’Ontario (1946), Théâtre-Action (1972), la Table féministe francophone de concertation provinciale de l’Ontario (1992), l’Union provinciale des minorités raciales et ethnoculturelles francophones de l’Ontario (2005), etc. Ce réseau associatif représente une tribune politique exceptionnelle, puisqu’il offre aux francophones de la capitale un lieu où ils peuvent se concerter, délibérer et poursuivre des projets communs.
Son développement témoignera de l’ascendance d’Ottawa sur le reste de l’Ontario français, voire sur l’ensemble de la francophonie canadienne. Plusieurs des associations de la capitale ont un mandat provincial ou pancanadien. Pensons à l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (1910), à l’Ordre de Jacques-Cartier (1926), à la Fédération de la jeunesse canadienne-française (1974) et à la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (1976), pour n’en nommer que quelques-unes. Encore aujourd’hui, Ottawa demeure la principale métropole de la francophonie ontarienne et canadienne.
Des membres de l’Institut canadien-français d’Ottawa, joueurs de cartes et de billard, dans la salle de l’Institut, Ottawa, [ca 1890].
Université d'Ottawa, CRCCF, Fonds Institut canadien-français d'Ottawa (C36), Ph38-29.