Élisabeth Bruyère est, au Canada, l'une des fondatrices de communautés religieuses du XIXe siècle à avoir le plus écrit. Plus de 1600 de ses lettres, adressées à diverses personnes entre 1839 et 1876, ont été conservées dans les Archives générales des Sœurs de la Charité d'Ottawa.
La pratique assidue de l'écriture est une inclination vers l'extérieur, une manière de rompre avec l'isolement géographique à Bytown, mais aussi de surmonter la douleur de la séparation d'avec la maison mère montréalaise. Ces lettres témoignent aussi du dévouement de mère Bruyère, de son esprit de charité, des nombreux défis entourant l'établissement d'une communauté dans l'Ontario anglo-protestant et de sa foi chrétienne inébranlable en la Providence de Dieu. Elles offrent également une fenêtre privilégiée sur la vie quotidienne des Sœurs Grises de la Croix d'Ottawa et la dimension proprement humaine de leur aventure, qui ne fut pas sans douleurs ni sacrifices.
De toutes les lettres envoyées, on retiendra tout particulièrement celles que mère Bruyère expédie à la révérende mère McMullen, supérieure de l'Hôpital général des Sœurs Grises de Montréal, dans les premiers jours suivants son arrivée à Bytown. Deux lettres datées du jeudi 20 février 1845 font état du voyage des religieuses missionnaires depuis Montréal. Parties le matin du 19 février 1845, elles voyagent en traîneaux, sur la glace de la rivière des Outaouais. Après un bref arrêt à la seigneurie de la Petite-Nation, elles poursuivent leur chemin à pied avant d'être accueillies à quelques kilomètres de la ville, le lendemain en fin d'après-midi, par un groupe de notables et de nombreux catholiques et protestants. Installée provisoirement au presbytère cédé par les pères oblats, mère Bruyère appréhende l'ampleur de la tâche qui l'attend dans sa nouvelle vie. Dès le lendemain de son arrivée, elle visite le futur couvent où elle et ses compagnes logeront et apporte ses premiers soins à quelques malades.