Des écrivains patriotes

Les nombreux Québécois, lettrés, à converger vers la nouvelle capitale s’empressent d’y recréer des institutions pour échanger et débattre, que ce soit l’Institut canadien-français,  la Société des Dix ou le Club littéraire canadien-français. C’est dans ces institutions culturelles naissantes, à l’Université d’Ottawa aussi, que naît une littérature ottavienne, distincte de celle de Québec ou de Montréal. Elle se fera, à cette époque, le chantre de la patrie.

C’est autour de la poésie que l’activité littéraire émerge à Ottawa. Arrivé dans la région en 1866, Benjamin Sulte publie un premier recueil de poèmes, Les Laurentiennes, en 1870 et, dix ans plus tard, ses Chants nouveaux. C’est sur les bords du lac Ontario qu’il écrit, en 1867, son poème « L’Histoire », où il dit sa profonde inquiétude face à l’avenir de ses compatriotes. 

            Enfants, vous marchez sans boussole,
            Qui vous indiquera la route des aïeux ?
            Au milieu des dangers l’espoir seul vous console;
            Le passé vous instruirait mieux1.

L’œuvre de William Chapman est tout aussi engagée. Les trois recueils de poèmes qu’il publie après son arrivée à Ottawa – Les aspirations (1904), Les rayons du Nord (1909) et Les fleurs de givre (1912) –  sont inspirés de son amour pour la patrie. Son poème « Notre langue » se veut un vibrant plaidoyer pour la langue française.  

Un autre grand poète d’Ottawa, Jules Tremblay, d’abord connu pour sa poésie universaliste très fleurie, chantera lui aussi, comme il le dit dans la préface d’Aromes du terroir (1918), « l’idée française ». Ardent défenseur de la cause franco-ontarienne, il s’interrogera sur le sens de son combat dans Du crépuscule aux aubes (1917). 

Romans, contes et nouvelles mettent aussi en scène l’histoire et les traditions. Quand il tâte du roman, le dramaturge Régis Roy s’en inspirera dans Le cadet de la Vérendrye ou Le trésor des montagnes de roches (1897), Le secret de l’amulette (1926) ou La main de fer (1931). Les Contes de chez nous de Rodolphe Girard, publiés en 1912, témoignent de la même conscience historique. Réfugié à Ottawa après la condamnation de son roman Marie Calumet (1904) par le clergé montréalais, Rodolphe Girard y passe plus de 35 ans et y publie plusieurs ouvrages.

Mais c’est probablement l’écrit biographique qui saura arrimer le mieux l’activité littéraire au patriotisme de l’époque. Les portraits d’hommes politiques canadiens dressés par le bibliothécaire général de la bibliothèque du Parlement, Alfred Duclos DeCelles, en sont un bon exemple. Cet intellectuel réputé s’appuiera sur les archives à sa disposition pour écrire d’imposantes biographies sur Louis-Joseph Papineau (1905), Louis-Hippolyte Lafontaine (1907), George-Étienne Cartier (1907) et, plus tard, Wilfrid Laurier (1920). S’il ne fait pas de doute qu’il s’agit là d’êtres d’une grande valeur, ils deviendront, sous la plume de DeCelles, des figures exceptionnelles de par leur engagement profond envers la nation. Plus que de simples biographies, ces ouvrages parlent de la collectivité à laquelle ils appartiennent, de ses rêves et de ses ambitions, contrecarrés par les soubresauts de l’histoire. DeCelles dira lui-même de son travail qu’il se veut « œuvre de justice réparatrice2».

 

1 Benjamin Sulte, Les Laurentiennes, Montréal, Eusèbe Sénécal, 1870, p. 129.

2 Alfred DeCelles, Lafontaine et son temps, Montréal, Beauchemin, Cadieux et Derome, p. 19. 

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Jules Tremblay, poète, historien, auteur, traducteur en chef à la Chambre des communes et fondateur du journal La Justice, [ca 1915].

Université d'Ottawa, CRCCF, Fonds Jules-Tremblay (P58), Ph151-1.

Photographie en noir et blanc, prise en studio, d’un homme d’âge mûr. L’homme, portant moustache et souffrant de calvitie, est vu de trois quarts. Il est vêtu d’un costume gris et d’une cravate noire avec une épingle à cravate blanche.