La fondation de l'ACFÉO

Dans les années qui suivent la Confédération, l’Ontario ne manque pas de proclamer ouvertement son caractère anglais et protestant ainsi que son attachement à l’Empire britannique. Et ses élites se font de moins en moins tolérantes envers les francophones qui continuent d’affluer depuis le Québec. Pourtant, dispersée, sans grandes ressources, avec comme seul moyen d’affirmation ses quelques institutions, la minorité francophone est loin de représenter un réel danger.

C’est la question scolaire qui met le feu aux poudres. Le ministère de l’Éducation mis sur pied en 1876 veut créer un modèle unique en Ontario, dont sont exclues les écoles séparées et les écoles françaises. Si les premières sont protégées par la Constitution canadienne, il est plus difficile de préserver les autres. L’idée d’une grande association provinciale regroupant les forces vives de l’Ontario français fait son chemin.

L’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFÉO) sera créée lors du Grand Congrès des Canadiens français tenu au Monument national à Ottawa, du 18 au 20 janvier 1910.  Il s’agit d’un événement marquant de l’histoire de la collectivité franco-ontarienne, qui jouit ainsi pour la première fois d’une voix politique. 

Le nouvel organisme se dote d’une structure à l’image de ses ambitions: un imposant conseil d’administration de 25 membres, choisis parmi les élites religieuses et politiques de l'époque, d’Ottawa pour la plupart. L’exécutif est composé d’un président et de deux vice-présidents. Le sénateur libéral Napoléon-Antoine Belcourt, personnage bien en vue de la capitale, accède le premier à la présidence.  Le sénateur conservateur, Philippe Landry, prendra les rênes de l’organisme en 1915. Dans un geste d’éclat qui fera de lui un véritable héros national,  il abandonnera la présidence du Sénat l’année suivante, rompant du même coup ses liens avec le Parti conservateur pour maintenir entière son indépendance dans la défense des droits scolaires des Canadiennes françaises et des Canadiens français de l’Ontario.

Depuis Ottawa où elle avait établi ses quartiers, l’ACFÉO devint rapidement le chef-lieu de la « résistance » au Règlement XVII, qui frappait d’interdiction les écoles « bilingues » en Ontario.  C’est elle qui multiplia les démarches auprès des gouvernements, qui appuya parfois directement, parfois indirectement, les innombrables recours aux tribunaux (ontariens, canadiens, britanniques), qui mobilisa l’opinion nationaliste du Québec et des autres parties du Canada français, qui soutenait, au niveau local, la mise sur pied d’écoles « libres », qui tenta même de rallier Rome à la cause franco-ontarienne !  La lutte sera longue et difficile.

Le 1er novembre 1927, les efforts de l’ACFÉO seront enfin récompensés. À la suite des recommandations du rapport Merchant-Scott-Côté et grâce aux pressions exercées par l’ACFÉO et le Québec, le Règlement XVII est finalement abandonné par le gouvernement de l’Ontario. Les écoles « bilingues » sont restaurées. La question de l’éducation en langue française en Ontario était cependant loin d’être réglée pour autant. L’ACFÉO poursuivra sa bataille pour l’éducation en langue française en Ontario sur plusieurs fronts, jusqu’à la francisation complète des écoles bilingues en 1968 et à l’intégration du réseau scolaire secondaire catholique privé dans la sphère publique la même année. Et même là, la lutte était loin d’être terminée.

i

Le Monument national, Ottawa, situé au 113, rue George, angle Dalhousie, Ottawa, 1910. Un des hauts lieux de ralliement des Canadiens français de la capitale. Reproduit d'un imprimé: «Congrès d'éducation des Canadiens français d'Ontario », ACFÉO, 1910, p. 340.

Université d'Ottawa, CRCCF, Collection générale du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (C38), Ph123ph1-XOFDH-33.

Photographie en noir et blanc d’un édifice en brique de quatre étages. La porte d’entrée est surmontée d’une tour, et deux tourelles sont placées de chaque côté à l’avant de l’édifice. Des drapeaux y flottent.  Des hommes circulent devant l’édifice et on peut voir quelques personnes sur les balcons du premier étage.