Au lendemain de la Confédération, une particularité de la circonscription électorale de la Cité d’Ottawa assurera aux francophones d’Ottawa une voix à la Chambre des communes. En effet, à partir de 1872, et ce jusqu’en 1935, deux représentants de cette circonscription seront élus au Parlement. Par convention ou par entente tacite, l’un d’entre eux représentera la communauté anglophone qui réside à l’ouest du canal Rideau, l’autre, sauf en de rares exceptions, la communauté francophone sise à l’est du canal Rideau. Si les premiers appartiennent pour la plupart à l’élite commerciale : industrie du bois, chemin de fer, services publics, les seconds sont des membres des professions libérales : avocats, médecins, journalistes.
C’est un médecin, Pierre Saint-Jean, qui sera le premier représentant francophone de la Cité d’Ottawa à la Chambre des communes. Lorsqu’il est élu en 1874, il figure déjà parmi les personnalités les plus en vue d’Ottawa. Son bureau de médecin est rattaché à l’hôpital des Sœurs Grises, et il fait ainsi partie de la première équipe de personnel régulier de l’hôpital. Il compte parmi les fondateurs de l’Orphelinat Saint-Joseph, ouvert en 1858, et il est membre de la Société Saint-Vincent-de-Paul. On lui attribue la fondation, la même année, du premier journal français publié en Ontario, Le Progrès d’Ottawa. Saint-Jean a aussi occupé des fonctions importantes à l’Institut canadien-français d’Ottawa et à la Société Saint-Jean-Baptiste, ce qui a ajouté à son influence.
Lui succèdent à la Chambre des communes des personnalités qui sont aussi d’importants chefs de file: l’auteur et journaliste Joseph Tassé (1878-1887), qui sera ensuite nommé sénateur; Honoré Robillard (1887-1896), un entrepreneur qui avait été le premier francophone à siéger à l’Assemblée législative de l’Ontario, de 1883 à 1886; et, finalement, l’avocat Napoléon-Antoine Belcourt (1896-1906), qui sera une figure de proue dans la défense des droits des Franco-Ontariens sur la scène fédérale. Tassé et Robillard sont des conservateurs, Saint-Jean et Belcourt des libéraux. Presque tous leurs successeurs comme députés d’Ottawa au Parlement seront des libéraux, tradition qui se maintiendra, dans Ottawa-Est de 1935 à 1974, puis dans Ottawa-Vanier, de 1974 jusqu’à aujourd’hui.
Ottawa n’a rien d’unique à cet égard. Dans l’arène fédérale, dès les années 1870, les francophones de la province délaisseront les conservateurs pour les libéraux, perçus à tort ou à raison comme plus favorables au Canada français et aux minorités. L’élection d’un Canadien français, Wilfrid Laurier, à la tête du Parti libéral du Canada en 1887 sera un autre facteur permettant d’expliquer ce réalignement politique. Enfin, la crise scolaire, déclenchée par la décision du gouvernement conservateur de l’Ontario d’interdire l’enseignement en langue française au-delà de la deuxième année du primaire dans les écoles de la province, fera définitivement pencher la balance en faveur des libéraux.
Portrait, tiré d'une mosaïque des anciens présidents de l'Institut canadien-français d'Ottawa, de Pierre St-Jean, président de l'Institut canadien-français d'Ottawa, dans les années 1859-1860, 1862, 1864, 1866-1867, et premier représentant francophone de la Cité d'Ottawa à la Chambre des communes, [Ottawa], [ca 1859].
Université d'Ottawa, CRCCF, Fonds Institut canadien-français d'Ottawa (C36), Ph38-67.