Les « Ottaviens »

Dès l’avènement du Parlement canadien à Ottawa en 1857, des francophones débarquent dans la capitale comme députés et membres de leur personnel politique, mais aussi comme agents du Parlement, bibliothécaires ou traducteurs. Ils viennent de la région de Montréal, Québec, Vaudreuil-Soulanges, Saint-Jean-sur-Richelieu, Salaberry-de-Valleyfield, Joliette et Sherbrooke. Ils viendront plus tard de Caraquet et Moncton, du sud du Manitoba, de Rivière-de-la-Paix et de Vancouver. La ville ne serait pas devenue le pôle intellectuel qu’elle a été au Canada français sans ces politiciens de diverses allégeances, ces fonctionnaires de plus en plus nombreux au fur et à mesure que de nouveaux ministères et de nouvelles agences sont créés et sans ces employés des multiples organisations de la capitale. C’était vrai hier, ce l’est encore aujourd’hui.

Depuis le dernier tiers du XIXe siècle, des Canadiens français de tout le pays viennent à Ottawa pour y travailler et élever leur famille. Tout en maintenant des liens étroits avec leur milieu d’origine, où ils restent actifs, ces « Ottaviens » d’adoption s’engagent dans la vie associative et culturelle de la capitale. Ils écrivent dans les journaux et les revues d’Ottawa. Ils sont sur la ligne de front quand il s’agit d’en appeler au respect des droits des francophones de la capitale. Un bel exemple est celui de Rémi Tremblay, qui débarque à Ottawa en 1880 pour travailler comme traducteur. En 1888, Tremblay est destitué de son poste de traducteur à la Chambre des communes à cause de ses positions en faveur du chef métis Louis Riel. Il ne reprendra du service qu’en 1896. Le fils de Tremblay, Jules, suit alors son père à Ottawa, après des études à Montréal. Il collabore à plusieurs journaux, pour occuper à partir de 1919 le poste de traducteur au gouvernement fédéral. Il se hissera jusqu’en haut de la pyramide, en devenant le traducteur en chef à la Chambre des communes, tout en poursuivant une carrière d’écrivain. Bien que membre de l’École littéraire de Montréal, Jules Tremblay participera activement au réseau culturel canadien-français d’Ottawa, qu’il ira même jusqu’à dépeindre dans ses écrits. Pierre Daviault et Guy Sylvestre sont aussi Ottaviens d’adoption. Originaires du Québec, c’est à Ottawa qu’ils passent la plus grande partie de leur vie professionnelle. Pierre Daviault est journaliste sur la colline du Parlement avant d’être traducteur, réviseur, puis surintendant au Bureau de la traduction. On lui doit le premier cours de traduction professionnelle à l’Université d’Ottawa. Guy Sylvestre occupe diverses fonctions avant de devenir secrétaire particulier du premier ministre Louis Saint-Laurent. S’ils mènent leur carrière à Ottawa, leur engagement à la vie littéraire, culturelle et sociale déborde sur l’ensemble du Canada français et se déploie jusqu’à Montréal et Québec.

Ces Ottaviens venus d’ailleurs ne sont souvent que de passage. Autant les politiciens et les fonctionnaires que les journalistes, écrivains, gens de théâtre et professeurs d’université qui ont fait carrière dans la capitale sans y être nés ou y avoir grandi quitteront, une fois à la retraite. Selon l’archiviste Michel Lalonde, « il y a toujours, chez l’Ottavien qui vient d’ailleurs, un certain sentiment d’exil1». On ne peut, d’après lui, comprendre la vie française d’Ottawa sans se rappeler qu’une bonne partie des francophones qui l’animent n’y habitent pas tout à fait.

 

1 Patricia Godbout, Traduction littéraire et sociabilité interculturelle au Canada (1950-1960), Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, p. 142.

 

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« Les “Sept” aux Archives nationales ». Première rangée : Gustave Lanctot, archiviste et historien; Pierre Daviault, traducteur et auteur; Louvigny de Montigny, traducteur et auteur; Marius Barbeau, ethnologue au Musée national du Canada. Deuxième rangée : Séraphin Marion, fonctionnaire aux Archives publiques du Canada et historien de la littérature; Robert de Rocquebrune, archiviste et auteur; Marcel Dugas, auteur et archiviste, Ottawa, décembre 1944.

Source : Université d'Ottawa, CRCCF, Fonds Séraphin-Marion (P106), Ph152-B5.

Photographie en noir et blanc montrant sept hommes d’un certain âge dans une salle d'exposition.  Trois hommes sont debout derrière; quatre hommes sont assis sur un banc. Tous sont vêtus de costumes et ont l’air sérieux.